ROMAN 
Katia GHOSN : 
« La faute à la France ? » 
Propos recueillis     par 
2011-06-02 
La littérature libanaise est     encerclée par le politique ; le dernier roman de Marie Kossaifi n’échappe     pas à cette réalité. Zad, la narratrice, ne possède d’autres souvenirs que     ceux de la guerre : « La guerre a duré longtemps et a envahi toute notre     vie… Trente-cinq ans et plus, dont les pires périodes ont été celles durant     lesquelles nous avons vécu l’illusion de la paix. » Écrire pour elle est     une leçon de lutte et de survie, mais aussi une échappatoire à une     situation étouffante. 
 
En écoutant Juliette, cette infirmière immiscée dans sa vie depuis qu’elle     avait été opérée de l’appendicite, raconter ses histoires et celles de sa     nombreuse famille, Zad « ne put dissocier leur destin de celui du pays ».     Najla et Youssef ont eu Habib, Nagib, Camélia, Juliette, Wardé, Melvina,     Souad, Loubna, qui à leur tour ont eu des enfants. Moyennant tous ces     personnages, le roman couvre cent ans d’histoire individuelle et     collective, de 1905, date de naissance de Najla, jusqu’à présent. Chaque     personnage trace le récit différent d’un même effondrement. Si la     narratrice se retrouve embarquée dans les histoires de ces gens-là, c’est     par ce que leur naufrage est également le sien. Wardé, ou Rose, du nom     donné par son amant français, suscite en elle une plus forte résonance. Et     c’est davantage attirée par ce personnage énigmatique et séduisant que par     la demande de Juliette qu’elle écrit son roman, ou plutôt le leur. Mais     avait-elle vraiment besoin de cet alibi pour raconter l’histoire ? 
 
Contrairement à Zad, Rose incarne la possibilité de la passion et de     l’amour. Pour Zad : « Les gens, ici, ne croient plus à l’amour, ni à la     fidélité, ni à l’attente… Il n’y a plus de place à l’amour dans ce pays,     personne n’est motivé à lire une histoire d’amour dont la fin, connue     d’avance, est scellée par la séparation ou la mort. » Pourtant, c’est bien     de l’amour de Rose pour le colonel français, puis pour Nagi, qu’il s’agit     dans ce roman, la première liaison étant interrompue par le départ du     Français et la deuxième par la mort des deux amants. Ce roman n’est-il pas     la preuve que, contrairement à ce qu’elle affirme, ce sont des histoires     d’amour que le lecteur – et l’auteure – recherchent après tout ? 
 
Mais de quoi les Français sont-ils rendus coupables ? « Najla est morte en     maudissant la France et les Français. » Ainsi commence le roman, non sans     ironie. Le stéréotype du Français venu en Orient pour abandonner par la     suite sa bien-aimée et rentrer chez lui est récurrent dans le roman arabe.     Sauf qu’ici, le colonel, abandonné par sa femme, revient, trop tard, à la     recherche de son paradis oriental ! L’amour de Rose pour le colonel     français est une épreuve initiatique, certes douloureuse, mais vécue comme     un enrichissement et une libération sans lesquels son amour pour Nagi     n’aurait pas atteint sa plénitude. 
 
Najla maudissait la France pour ne pas se culpabiliser elle-même. Les     filles de Najla ne pensaient-elle pas que c’était plutôt leur mère qui a     poussé leur sœur dans les bras de cet étranger ? La mère ne profitait-elle     pas du Français pour faire sortir son fils aîné Habib, trafiquant de     métier, de la prison ? 
 
Le roman de Marie Kossaifi finit comme il commence, sur une note légère de     blâme à l’égard de la France : « Est-ce la faute de la France parce qu’elle     est venue chez nous, ou bien parce qu’elle est partie sans nous ? » La     France est-elle coupable d’avoir abandonné les chrétiens du Liban, tout     comme le colonel avait abandonné sa bien-aimée ? Est-ce parce qu’ils se     sentent délaissés, sans espoir de pouvoir se construire dans leur pays, que     les Libanais se sentent poussés à saisir la perche tendue désormais par le     Canada ? L’émigration est-elle une solution ? Zad, qui n’est plus de toute     première jeunesse, optera-t-elle pour un ultime départ et un énième     commencement ? La nuit porte conseil. Zad se met au lit et lit… Le lecteur,     lui, peut écrire la fin du roman comme bon lui semble. 
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